Cinémathèque

Par Christian Guillon - Master-Class à la cinémathèque française, 2014, extraits

Master-Class à la cinémathèque française, 2014, extraits

« ... Il y a un aspect que nous avons dès le départ pris en compte, ce sont les aspects juridiques, sociétaux et en quelque sorte simplement moraux.

Sur le plan purement juridique, une doublure numérique est aujourd’hui encore un objet qui n’a pas d’existence.

Il n’y a pas de définition juridique d’une doublure numérique.

Il n’y a donc pas de protection, ni pour ceux qui la fabriquent ni pour ceux qui prêtent leur visage à la contrefaçon.

La doublure numérique est à la frontière entre le droit à l’image et le droit voisin.

Il y a une sorte de vide juridique, les juristes sont partagés et ils sont disposés à débattre.

Pour notre part, nous avons préparé un cadre juridique qui protège ce qu’on appelle le « titulaire », c’est a dire la personne dont nous fabriquons la doublure, et qui lui garantit le contrôle totale sur l’utilisation de sa doublure.

Mais nous savons que, si les usages se démocratisent, les utilisations douteuses peuvent se developper.

Aujourd’hui nous savons par exemple que des sportifs dont l’image a été utilisée sans leur accord (et surtout sans rémunération), dans des jeux vidéo, poursuivent les éditeurs devant les tribunaux.

On sait aussi, toujours dans les jeux vidéo, que des comédiens qui s’étaient prétés au jeu pour un titre et qui se voient utilisés dans un deuxième titre, protestent eux aussi.

Ce seront les cas d’espèces qui créeront la jurisprudence et peut-être même qu’on légifèrera un jour.

Sur le plan moral, ou sociétal comme on dit aujourd’hui, il y a des gens que cette pratique dérange, et je ne doute pas qu’il y en ait parmi vous aujourd’hui.

Il y a la crainte de l’artificiel, de voir les acteurs être « remplacés » par le numérique, de voir disparaître les émotions de cinéma que nous connaissons et qui nous le font aimer.

En premier, je rappelle ce que j’ai tout à l’heure expliqué, à savoir que ce processus reste dans le champ du cinéma, c’est à dire de la captation/restitution.

Il s’agit toujours de procéder à l’enregistrement d’un phénomène du réel, par exemple un acteur qui dit « tu as de beaux yeux tu sais ! », et de le restituer pour le donner à voir au spectateur.

Mais comme dans le cinéma traditionnel, il y a des artifices.

Avant il y avait des projecteurs à Fresnel dirigés sur les yeux des actrices, des bas de soie devant les optiques pour adoucir leurs rides, des maquilleuses attitrées, des chef-opérateurs vedette, des grues, des décors somptueux, des milliers de figurants, de veritables exploits de production pour fabriquer des images inoubliables.

Demain il y aura, pour des cascades extraordinaires, des doublures numériques qui diront « t’as de beaux yeux tu sais » au moment même de la cascade, avec toute l’émotion donnée par le comédien lui-même.

Il y aura des logiciels pour le maquillage, la coiffure et les costumes, avec des techniciens de talent derrière.

Le directeur photo travaillera sur une séquence enregistrée, pourra affiner sa lumière sans avoir un assistant réalisateur qui le presse de finir.

Le réalisateur pourra modifier son mouvement de caméra en post-production, ou son cadrage, réécrire une scène qui manquait, ou transformer une séquence nuit en séquence jour sans préjudice pour l’image... »