La dissociation, le deepmedia

Par Christian Guillon

Il y a toujours eu débat entre l’image comme témoin et l’image comme composition.

Ce conflit existe depuis toujours au sein de la communauté du cinéma, mais il est également présent à l’intérieur même de chaque image.

La dissociation des éléments qui composent l’image remonte au début du cinéma.

Avec les premier trucages, surimpressions, ajouts de décors, maquettes, on comprend très vite qu’on peut composer une image à partir de fabrications dissociées.

Un peu plus tard le son a suivi, dans la plus grande discrétion sémantique : la post-synchro n’a jamais donné de boutons à André Bazin (mais à Straub et Huillet si, j’y vois la preuve de leur grande cohérence dans l’impasse théorique, c’est rare et cela ne manque pas de panache, si on compare par exemple aux impostures du « Dogme » de Lars Von Trier et aux défilades pathétiques de ses inventeurs).

Petit à petit, les effets spéciaux nous ont habitué à la dissociation des avant-plans et des arrière-plans (fonds verts), à la fabrication séparée de décors graphiques (matte-paintings), puis à la fabrication séparée de personnages ou d’objets calculés (hybridation CGI), pour aboutir maintenant à une dissociation à l'intérieur même des comédiens (motion capture sur modèle numérique de personnage).

Désormais on peut enregistrer sous la forme d'un pur fichier numérique des phénomènes du monde réel, pour ensuite s'en servir de vecteur de réalisme en les injectant dans une image calculée.

Et si on va au bout de la chaine, c’est encore la dissociation qui est à la manoeuvre dans ce qu’on appelle la réalité virtuelle, mais cette fois entre la mise en scène et la mise en images,

La captation d’un phénomène réel, comme une scène de comédie, pourra se faire de façon exhaustive, et non plus liée à un seul point de vue.

Je ne parle pas de 360, qui impose un point de vue unique. Je pense ici à une captation volumétrique, dont les technologies 4DView ou Lythro par exemple constituent aujourd’hui des préfigurations.

Cette étape se passera du « réalisateur », dont l’existence est indissociable du point de vue, mais elle aura toujours besoin de « l’auteur » et du « metteur en scène » pour écrire, concevoir la scène, régler la chorégraphie, inventer une scénographie.

Dans un deuxième temps, cette captation exhaustive deviendra le matériau, à partir duquel pourront travailler un ou plusieurs « réalisateurs », qui feront de la scène leur version linéaire, en imposant leur point de vue, leur montage, leurs mouvements, etc.. Mais ce matériau pourra aussi être directement exploré par le spectateur, qui deviendra alors « spectauteur » et/ou « spectacteur », ce sera une version VR.

Certains appellent ce concept multiversioniste le « DeepMedia ».