Quand Montpellier se donne des airs de Hollywood

Par Christian Guillon

Quand Montpellier se donne des airs de Hollywood


France Télévisions a installé dans l'Hérault un ensemble de studios dédiés au tournage de ses séries. Une infrastructure appelée à se développer. Situation de crise à l'hôpital de Montpellier. Cette fois-ci, ce n'est pas le Covid-19 qui est en cause. Sa directrice, le docteur Janet Lewis, vient de prendre connaissance d'accusations graves portées, sur Internet, contre l'une de ses meilleures infirmières, Claire Estrela. La jeune femme a dû prendre, ces derniers jours, des décisions risquées. Un article de presse malveillant les relate sur le Net. Les deux femmes s'entretiennent du problème que crée l'affaire colportée par les réseaux sociaux. Une caméra les suit quand elles s'isolent dans un bureau pour poursuivre leur conversation, à l'abri des oreilles indiscrètes. Une vingtaine de personnes retiennent leur souffle : perchman, cameraman, éclairagistes, figurants. Devant son écran de contrôle, la réalisatrice, Marion Lallier, s'assure que la mise en scène qu'elle avait imaginée est respectée à la lettre. Elle interrompt l'échange au bout d'un long plan-séquence. « C'est bon. C'est dans la boîte. Merci à tous et à toutes », clame-t-elle d'une voix tonitruante. Bienvenue sur le tournage d' Un si grand soleil USGS , pour les fans), le feuilleton quotidien de France 2 !
Usine à rêves
En cette fin juin, les studios de Vendargues, dans la banlieue de Montpellier, tournent à plein régime. Depuis 7 h 30 du matin, costumières et maquilleuses s'activent pour préparer les comédiens qui doivent jouer jusqu'à quatre
scènes par jour. Marion Basset passe en revue les vêtements que porteront les quinze acteurs inscrits au planning de la journée. À ses côtés, Kallisto Ménissier scrute la fiche de service sur laquelle sont décrites, par le menu, les séquences qui seront filmées dans les heures qui viennent. « Nous devons nous assurer que les tenues de chacun des personnages seront bien raccord avec les scènes qui précèdent ou qui suivent. Et ce, alors même que certaines d'entre elles ont été enregistrées il y a plusieurs semaines » justifient les deux femmes, qui travaillent sur cette production depuis trois ans.
Aucun détail n'est laissé au hasard. Du fond de teint aux bijoux, en passant par la coiffure, l'aspect des protagonistes doit demeurer rigoureusement identique, plan après plan, tout au long d'une même scène. Sachant que la distribution de la série compte 460 rôles distribués et plus d'une soixantaine de personnages récurrents, on imagine le casse-tête pour la douzaine de professionnels de l'ombre qui les habillent, les coiffent et les maquillent chaque jour.
Mécanique de précision
Mélanie Maudran, qui incarne le personnage (principal) de Claire Estrela, se change en quatrième vitesse avant d'aller déjeuner et de ressortir pour tourner en extérieur une scène qui se déroulera, dans le canevas de la série,
deux mois plus tard. La Franco-Américaine Tonya Kinzinger, qui joue le docteur Lewis, peut souffler. Elle en profite pour réviser ses lignes de dialogue. Nous découvrons nos textes quatre à six semaines avant le tournage.
Cela nous laisse le temps de les travailler », précise la comédienne, révélée, il y a plus de vingt-cinq ans, par une autre série populaire : Sous le soleil, sur TF1.
Des coachs, présents sur le plateau, proposent aux acteurs de répéter entre chaque prise. « Ces aides nous sont précieuses car elles nous permettent de nous y retrouver dans ce formidable puzzle que constitue le tournage d'une
telle série », émet Fabrice Deville, qui incarne le compagnon de Claire. Tout est fait pour limiter le nombre d'essais devant la caméra. « À raison de cinq épisodes à fabriquer par semaine, nous ne pouvons pas perdre de temps. Nous devons absolument rationaliser la réalisation, ce qui pousse à l'adoption de process proches de ceux de l'industrie », glisse Olivier Roelens, producteur exécutif du programme.
À raison de cinq épisodes à fabriquer par semaine, nous ne pouvons pas perdre de temps. Nous devons absolument rationaliser la réalisation.
Course contre la montre
Passer une journée à assister à la fabrication de ce feuilleton, comme Le Point l'a fait le 29 juin, donne
l'impression d'être tombé au coeur d'une ruche. Deux cent cinquante personnes travaillent sur place. Jean-Éric Lapointe supervise la quarantaine d'allers-retours qu'effectuent chaque jour les chauffeurs qui transportent les équipes. C'est une perpétuelle course contre la montre. Après plus de 720 épisodes tournés dans ces conditions depuis avril 2018, la machine semble cependant bien réglée. « Nous savons tous ce que nous avons à faire pour que cette mécanique de précision fonctionne » confie Philippe Ramousse, chef constructeur des décors.
Alors que vient de débuter la quatrième saison d' Un si grand soleil , diffusée en prime time sur France 2, ses personnages sont plongés dans une intrigue peu riante : la fin de vie. Le sujet va occuper plusieurs épisodes de
cette rentrée. L'accompagnement de Violette, atteinte d'une grave maladie cardiaque et désireuse d'en finir, a débuté dans la dernière semaine d'août. Les épisodes, tournés en juin, conduisent les spectateurs à s'interroger sur
une question qui divise profondément l'opinion : jusqu'où le personnel soignant peut-il aller pour soulager les maux d'une patiente incurable ? Cette thématique dramatique n'empêche pas qu'on rie beaucoup sur le plateau. «
La série est comme un cocktail. Nous faisons en sorte d'alterner scènes comiques et tragiques, comme dans la vraie vie » résume Olivier Szulzynger, le créateur de ce soap opera à la française.
Surprises en vue
Comme à chaque rentrée, des nouveautés sont intervenues dans la série. Un personnage est apparu, depuis quelques jours, à l'écran en la personne de Sylvie Le Tellier, qui joue le rôle d'Hélène, la surveillante des infirmières. Florent, qui partage la vie de Claire Estrela, s'est installé dans un nouveau cabinet d'avocat, dont le décor flambant neuf a remplacé celui du zoo des deux premières saisons. Le départ de Jérémy Banster de la distribution s'est traduit par la disparition de son personnage (Julien Bastide). « Du coup, le décor de la maison de la famille Bastide va être transformé prochainement en autre chose », glisse Toma de Matteis, cocréateur de la série.
La série est comme un cocktail. Nous faisons en sorte d'alterner scènes comiques et tragiques, comme dans la vraie vie.
Si aucun changement majeur ne semble visible dans les locaux, plus vrais que nature, du commissariat où l'on retrouve Moïse Santamaria… « là aussi, des surprises attendent les téléspectateurs » glisse malicieusement l'acteur qui campe Manu Léoni, un flic survolté frappé, lors de la dernière saison, par un deuil douloureux. Olivier Szulzynger ne révélera rien de ce que concoctent les vingt-cinq scénaristes de la série, chapeautés par Stéphanie Tchou-Cotta, à Paris. « Tout ce que je peux vous dire, c'est que le climat, cette année, va progressivement s'alléger », finit-il par lâcher dans un grand éclat de rire. Il est vrai que les protagonistes de la série ont eu leur lot de drames ces derniers mois.
Pari réussi
Un vent de légèreté souffle sur le plateau. Malgré le carcan contraignant qu'impose le rythme quotidien de diffusion du programme, les équipes semblent s'amuser. Les excellentes audiences du feuilleton contribuent à la
bonne humeur. Avec une moyenne de 3,9 millions de téléspectateurs, cet été, soit 19 % de part d'audience, la série A atteint, en juillet et août, ses meilleurs résultats depuis son lancement il y a trois ans. Quelque 6,6 millions de
téléspectateurs ont regardé, pendant les vacances, au moins un épisode par semaine. Après avoir contribué au succès de la série Plus belle la vie sur France 3 et imaginé Un si grand soleil pour France 2, Olivier Szulzynger est devenu l'un des scénaristes les plus courtisés du paysage audiovisuel français . Il s'apprête d'ailleurs à fournir à la filiale africaine de Canal+ un nouveau feuilleton quotidien, entièrement tourné en Côte d'Ivoire. Toma de Matteis, directeur délégué chargé de la fiction à France Télévisions, se réjouit évidemment du succès du feuilleton. « C'est la démonstration que le pari que nous avons fait en développant à Montpellier ce pôle de création était sage » expose le quadragénaire. Le groupe public a investi, sur sa recommandation, quelque 40 millions d'euros pour
transformer un ancien entrepôt de 16 000 mètres carrés en studios. Le site s'agrandit en ce moment. Des projets…Un troisième espace de 600 mètres carrés est en cours d'achèvement. Il devrait accueillir ses premiers tournages à
l'automne. Sa spécificité ? Son fond vert… « Ce nouveau studio va nous permettre de développer toutes les potentialités que nous offre le savoir-faire de la société spécialisée dans les effets spéciaux [Les Tontons truqueurs] que nous venons d'acquérir » poursuit Toma de Matteis. En coulisses, Pierre-Marie Boyé nous fait justement la démonstration de son expertise en matière de trucage. Il nous montre, sur un petit poste télé, le couloir d'hôpital devant lequel jouent deux comédiens en direct. Des figurants circulent dans le fond. « Ce sont des personnages virtuels », émet-il. Incrédule, on passe une tête sur le plateau pour vérifier. Effectivement, le couloir est bien moins long dans la réalité qu'à l'écran. « Nous pouvons ainsi ajouter à moindre coût des éléments de décor, et ce, en temps réel pendant le tournage même », complète cet ancien normalien, tombé dans l'univers de la télévision un peu par hasard.
Doté d'une impressionnante réserve de décors et d'accessoires variés, mais aussi d'une menuiserie high-tech capable de fabriquer des éléments sur mesure pour l'ensemble des antennes du groupe, l'équipement montpelliérain devrait accueillir le tournage de deux nouvelles productions dans les prochains mois. La première s'intitule Capitaines Pennac . Le pilote de cette série mettant en scène un père et sa fille, tous deux policiers, sera diffusé prochainement sur l'antenne du service public. France Télévisions a lancé l'écriture de six épisodes qui  devraient figurer dans sa grille de programme en 2022. Une coproduction avec les télévisions belge et allemande doit également être filmée sur place l'été prochain. Le titre provisoire de ce thriller est Crossroads Compétitifs
À terme, les studios de Vendargues pourraient accueillir des tournages de films conçus et diffusés par d'autres acteurs que France Télévisions. Des discussions sont en cours avec des plateformes audiovisuelles étrangères. « Cela nous permettra d'amortir plus rapidement l'investissement que nous avons réalisé ici », argue Toma de Matteis.
Le déménagement prochain dans l'Hérault des équipes de montage et de postproduction de France Télévisions, aujourd'hui installées en région parisienne, constitue, selon lui, un atout supplémentaire pour la structure. « En centralisant tout à Vendargues, nous réaliserons encore davantage d'économies d'échelle » ajoute son bras droit, Olivier Roelens. Jusque-là, c'est par une liaison filaire spécialement créée pour la série que la production envoyait
chaque nuit les images tournées dans la journée. Les délais de fabrication des quelque 250 épisodes réalisés sur place chaque année devraient ainsi raccourcir encore. Et leur coût reste parmi les plus compétitifs du secteur : de l'ordre de 100 000 euros pour 26 minutes de programme.